Ma vie chez les Témoins de Jéhovah

J'ai grandi dans l'organisation des Témoins de Jéhovah. Avec tout ce que cela implique pour une enfant. Etre différente, être moins que tout, je ne participais ni à la vie scolaire, aux anniversaires, à Noël, Halloween, la fête des mères... Ma lecture était principalement issue de cette "société", et mes fréquentations se limitaient au cercle des témoins de Jéhovah, les relations avec les personnes du "monde" extérieur étant vivement déconseillées car elles pouvaient influencer notre saine façon de vivre et nos principes.
Dans notre foyer, malgré ce contexte, l'amour était présent. L'amour de mes parents, sourds et muets, leurs coeurs savaient écouter et parler ; d'un grand frère, actuellement encore témoin de Jéhovah, et d'une petite soeur.
A 16 ans, je me suis fait baptiser, c'est à dire que j'ai voué mon âme à Dieu. Pleine de bonnes résolutions, j'assistais aux cinq réunions hebdomadaires et j'allais de porte en porte pour annoncer la venue de Dieu, même si cette activité me rendait malade: déranger les gens chez eux, parler à des inconnus, c'était terrible pour une adolescente plutôt introvertie, mais "- Dieu est satisfait de te voir agir ainsi" : disaient les "anciens" (= responsables des congrégations locales), alors tout allait bien. Je n'ai pas continué mes études, pour diverses raisons, mais à l'époque, l'organisation conseillait des études moins longues afin de consacrer sa vie à servir Dieu, par la suite, constatant une baisse au niveau intellectuel et professionnel de ses ouailles (il faut avoir un bon job pour lui apporter de jolis dons financiers...), elle encouragea un cursus scolaire plus important. Les membres de cette organisation se côtoient régulièrement, il s'y installe un climat de confiance, ils se sentent en sécurité, entre eux ils s'appellent "frères et soeurs".
Je me suis mariée à 18 ans, avec un témoin de Jéhovah car telle est la règle. Pour mes 19 ans, j'eus la plus jolie des petites filles...

Les premiers doutes sur l'organisation des Témoins de Jéhovah

Et puis, s'installe le train-train quotidien : travailler toute la journée, le soir enfiler une jupe (longue jusqu'aux mollets et pas trop moulante : c'est fortement conseillé...), faire la popote et manger si possible avant de partir pour les deux heures de réunion, tenter de rentrer avant 22 heures pour ne pas coucher notre fille trop tard.
Dans ce milieu confiné, à force de voir nos semblables, de manière répétitive, on ne finit par voir que leurs défauts, donc les mauvaises langues vont bon train. "Tu as vu Frère "truc", il arrive tout le temps en retard aux réunions", "...et soeur "machin" la jupe qu'elle porte non mais, quelle honte !, son maquillage ? il me donne envie de voir un film en noir et blanc...", " Frère " truc" il a pas une p'tite tendance à l'alcool ?..." Des remarques parfois beaucoup plus blessantes, qui touchent l'intégrité des personnes, et comme tout se sait, les intéressés ont parfois du mal à s'en remettre.
Je commence donc à me poser certaines questions sur la sincérité de l'amour des "frères et soeurs", tout est si pré-pensé, conditionné. Et puis, pourquoi une pensée unique, consumériste qui s'avère infantilisante et culpabilisante ? D'un autre côté, je me dis aussi, que ces frères et soeurs sont ma famille, c'est dans cette bulle que j'ai grandie, je m'y sens bien, en sécurité. Et dans le "monde", on voit tant d'atrocités...

Ce qui a tout fait basculer...

Un après midi, je passe prendre le thé chez ma mère. On sonne à la porte, une amie, témoins de Jéhovah bien sûr, mais "refroidie", c'est à dire qu'elle ne fréquente plus les réunions: elle souhaite parler à ma mère. Ma présence ne la gêne visiblement pas, elle se confie. Avec émotion, elle raconte à ma mère, que son fils âgé de 20 ans, vient de lui avouer qu'il avait, avec d'autres jeunes garçons (entre 6 et 10 ans environ à l'époque), subit des attouchements de la part d'un autre témoin de Jéhovah. Cette amie, sourde et muette, me demande donc de contacter un "ancien", afin qu'ils puissent avoir ensemble une discussion sérieuse. Quelques jours plus tard, un "ancien" me téléphone pour me dire que cette délicate situation est prise en main par leur comité des "anciens" et qu'il compte sur notre discrétion.
Quelques semaines, plus tard je rencontre l'agresseur dans une grande réunion semestrielle de témoins de Jéhovah. Il me demande, tout sourire, des nouvelles de ma petite fille. Je suis atterrée. Mon mari et moi invitons les "anciens" à la maison pour obtenir des éclaircissements, nous apprenons donc que le comité des "anciens" l'a démis de ses fonctions dans l'organisation et que la victime n'a pas porté plainte. Nous les questionnons. Ils nous répondent que l'agresseur s'étant repenti sincèrement de son acte, il appartient à la victime de décider si elle veut ou non engager des poursuites judiciaires, mais ils estiment de pas à avoir dénoncer qui que ce soit.
Chacun sait que la pédophilie est un comportement plus que pathologique, elle est sévèrement punie par la Loi, cet agresseur a toute l'impunité de recommencer son acte. La victime, elle, est laissée seule avec sa conscience, peut-elle réellement se reconstruire ?
Là tout bascule.
Moi-même, ayant vécu la même expérience dans mon enfance, je ne peux ignorer ce comportement inhumain. Non, finalement, on n'est pas si sécurisé dans cette bulle, finalement, l'amour dans ce groupement n'est que superficiel voire inexistant.
Alors que les "anciens' encouragent la délation entre témoins de Jéhovah, au cas où l'un d'entre eux serait pris en train de fumer ou de sortir en discothèque, ou toutes autres actions allant à l'encontre de leurs principes. Mais comment traitent-ils les "frères" qui battent leurs femmes, maltraitent leurs enfants, les violeurs, les escrocs, les pédophiles...? Le comité de ces "anciens" punit les "petites infractions" des uns, mais laissent les cas graves des autres qui les dépassent complètement, qu'ils règlent à leur manière, se substituant à la Justice, de façon à ne pas ternir la réputation de l'organisation.

Mon retrait de l'organisation des Témoins de Jéhovah

Pendant trois ans, je ne fréquente plus les réunions et ne rencontre qu'occasionnellement les témoins de Jéhovah.
Lorsque j'apprends qu'une deuxième petite fille viendra agrandir notre petite famille, c'est le déclic : je veux que tout soit clair. J'ai voulu être honnête d'abord avec moi-même, avec ma famille, mes parents et mon frère afin de leur ôter tout éventuel espoir de mon retour dans l'organisation.
Le traitement infligé aux témoins de Jéhovah qui quittent l'organisation est clair : pas de contact ! Je m'estime heureuse donc, de continuer à voir mes parents régulièrement, ils s'occupent souvent et très bien de leurs petits-enfants, nous avons gardé de bonnes relations même si parfois nous avons eu quelques désaccords.
"...Tu seras toujours mon frère, je t'aime très fort, rien ne changera..." à ces quelques mots, pour annoncer mon retrait officiel, je n'ai eu aucun retour, pas de "moi aussi p'tite soeur..." pas d'émotion, rien. Depuis plus d'un an, nous n'avons fait aucune sortie ensemble alors que nous étions très proches, juste quelques repas familiaux (là aussi j'ai de la chance...).
La croyance en l'organisation étant si engagée, à la question que je me pose parfois, mais à laquelle je n'ose essayer de répondre : "que choisirait maman": son enfant ou ses convictions ?
En dehors de la famille, les témoins de Jéhovah, ne doivent pas adresser la parole à des gens comme moi, des exclus, comme ils disent. Alors, souvent certains que je rencontre dans la rue sautent dans un buisson, changent de trottoir, feignent de ne pas me voir. Il est arrivé, que quelques-uns uns viennent gentiment me saluer, ceux-là sont des apostats au regard des autres.
Il faut rappeler que j'ai grandi avec ces personnes-là, que ces relations m'étaient très proches et uniques. Lorsqu'on se retrouve seule, sans relation, c'est dur à vivre, c'est une mise à mort sociale. L'organisation compte sur cet éloignement, cette privation de fréquentations, pour que la "brebis" perdue revienne vers le troupeau.

Et après...

Nous nous reconstruisons une vie sociale, nous revivons, malgré quelques réflexes conditionnés, le temps aidera.
J'ai bientôt 28 ans, j'ai fêté Noël pour de vrai en 2002, c'était magique, je croyais presque au Père Noël tellement mes yeux brillaient. Je n'ai que quelques vrais anniversaires à mon actif, et j'ai récemment savouré la fête des mères. Mes filles n'auront pas mon enfance, la leur sera peut-être plus heureuse, plus sincère, je l'espère, c'est le pari de ma vie.
A présent, je crois en mon couple, mes enfants, ce qui fait que je crois aussi un peu en moi, cela me suffit amplement.
Que mes parents et mon frère restent témoins de Jéhovah, s'ils estiment être heureux (si leur perception du bonheur est juste...) là où ils sont.
Que ce témoignage, qui a été pour moi un exutoire, puisse servir à d'autres personnes qui s'interrogent sur les témoins de Jéhovah, qu'ils sachent l'impact ce cette organisation et s'en méfient. Merci à ma petite soeur, libre elle aussi, d'être là pour moi.
Merci à mes enfants d'étinceler ma vie.
Merci au témoin de Jéhovah que j'ai épousé, il y a dix ans, de s'être transformé en prince charmant.
Merci de m'avoir lue jusqu'au bout.

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